samedi 16 novembre 2013
dimanche 10 novembre 2013
Pour aller plus loin : La démarche de Mendeleïev
I/: Un aperçu de la Chimie au XIX°
C'est au cours de ce siècle que la chimie prend véritablement son essor avec la théorie atomique, la naissance de la chimie organique, la chimie structurale, le classement des éléments par Mendeleïev et la classification périodique des éléments. À la fin du siècle, physique et chimie contribueront à la découverte de la radioactivité.
- La théorie atomique :
| J. Dalton |
En 1811, Amedeo Avogadro supposa que des volumes égaux de gaz dans les mêmes conditions de température et de pression ont le même nombre de molécules (Loi d'Avogadro-Ampère que nous verrons plus tard dans l'année). Il établit une distinction entre molécules et atomes : une molécule est un édifices d'atomes.
- L'électrochimie :
| Billes de potassium |
(Image : Images of chemical elements)
- La chimie organique :
| Symbolisation de l'urée |
| Synthèse de l'indigo dans une usine de la BASF, Allemagne (1890) |
- La radioactivité :
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| Polonium |
(Image : Images of chemical elements)
- Interdisciplinarité de la chimie :
Au XIXe siècle, d'autres domaines de la chimie apparurent. Stimulés par les progrès réalisés en physique, des chimistes cherchèrent à appliquer des méthodes mathématiques à leur science. L'étude des vitesses de réaction conduisit au développement des théories cinétiques, appliquées à l'industrie et à la science pure. On reconnut que la chaleur était due à un mouvement de particules à l'échelle atomique, c'est-à-dire à un phénomène cinétique. La chaleur ne fut alors plus considérée comme un composé, ce qui permit l'avènement de la thermodynamique. L'étude des spectres d'émission et d'absorption des éléments et des composés devint importante à la fois pour les chimistes et les physiciens, conduisant au développement de la spectroscopie.
II/: Les travaux de Mendeleïev.
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| Mendeleïev par le peintre Ilya Repin |
Une intense bataille d’idées se déroulait alors en chimie, entre les partisans de la théorie atomiste et leurs opposants principaux les équivalentistes.
En janvier, l’Université envoie Mendeleïev en stage à l’étranger " pour s’y perfectionner dans les sciences ". C’est pourquoi les jeunes savants russes envoyés à l’étranger se groupaient en cercles, qui jouèrent un grand rôle dans la formation de leurs membres.
Mendeleïev part en avril 1859 et décide de se rendre à Heidelberg, où travaillaient à cette époque deux éminents savants, Kirchhoff et Bunsen.
Un événement capital, pendant le séjour de Mendeleïev à Heidelberg, fut le Ier Congrès international des chimistes à Karlsruhe (3-5 septembre 1860).
2.1/: Le Congrès de Karlsruhe.
On sait que les chimistes usent d’un langage conventionnel où les corps sont symbolisés par une ou deux lettres : C pour le carbone, O pour l’oxygène, Si pour le silicium, etc. Chacune de ces lettres représente un corps déterminé et en même temps son poids atomique. Ainsi, lorsqu’on écrit la formule du sel de cuisine, NaCl, on indique qu’une molécule de ce corps composé contient un atome de sodium (Na) et un atome de chlore (Cl), et aussi qu’il y a 23 grammes de sodium pour 35,5 grammes de chlore.
Les choses étaient loin d’être aussi claires au milieu du XIX° siècle. Née avec Lomonossov et surtout Lavoisier au XVIII° siècle, la chimie moderne progressait à pas de géant, mais au milieu d’une certaine confusion théorique. La notion d’atome était contestée, ou confondue avec celle de molécule. Pourtant, le début du siècle avait été marqué par de grand succès de la théorie atomique, qui avait commencé à acquérir une base expérimentale. Etudiant les combinaisons, le chimiste français Proust avait établi qu’elles étaient caractérisées par une composition chimique absolument invariable. Le grand chimiste anglais Dalton, qui l’avait soutenu, fit un pas de plus, d’une importance capitale. Reprenant la théorie atomique des Anciens, de Démocrite et de Lucrèce, et l’appuyant sur les données de l’expérience, il admit que tous les corps étaient composés d’une infinité de petites particules identiques et insécables, les atomes, qui avaient la propriété de s’attirer les uns les autres et surtout d’avoir une masse constante et bien déterminée, différente pour chaque corps. Il en résultait que, si deux corps simples sont susceptibles de donner plusieurs corps composés, un nombre entier d’atomes de l’un de ces éléments doit s’unir à un nombre entier d’atomes de l’autre élément. Par exemple, un atome de carbone peut s’unir à un atome d’oxygène pour former l’oxyde de carbone CO, ou à deux pour former le gaz carbonique CO2, mais pas à une quantité intermédiaire comme 1,2 ou 1,5 atome d’oxygène. La terminologie de Dalton était cependant incertaine. C’est ainsi qu’il parlait d’ « atomes complexes » là où nous parlons aujourd’hui de molécules.
Quelques années plus tard, étudiant les combinaisons gazeuses, le chimiste français Gay-Lussac établissait que lorsque deux gaz se combinent, leurs volumes sont entre eux dans un rapport simple. Ainsi, l’oxygène et l’hydrogène se combinent dans des proportions respectives de 1 volume à 2 pour former l’eau. Pour que l’hypothèse atomique fût vérifiée, il fallait encore supposer que des volumes égaux de gaz contenaient le même nombre de particules.
| SCETI Library |
Avogadro supposa arbitrairement que les gaz simples étaient constitués par des molécules composées de deux atomes. Mais nous savons aujourd’hui que les molécules des éléments chimiques ne sont pas toutes biatomiques à l’état de vapeur : il y a quatre atomes dans les molécules de phosphore et d’arsenic, et un seul dans celles de mercure et de cadmium. Il en résultait des contradictions apparemment insurmontables suivant que les poids atomiques étaient déterminés d’après les hypothèses d’Avogadro ou par d’autres voies.
Aussi la théorie atomique était-elle fortement battue en brèche, à l’époque, par celle des équivalents, dont l’un des plus brillants représentants était le chimiste français Jean-Baptiste Dumas. L’équivalent d’un corps était le poids de ce corps qui équivalait au poids d’une unité d’hydrogène. Les équivalentistes écrivaient la formule de l’eau HO, en adoptant pour équivalents de l’hydrogène et de l’oxygène, respectivement, H=1 et O=8. Les atomistes, eux, adoptaient la notation H2O, avec H=1 et O=16. La différence semble secondaire, le rapport entre le poids d’hydrogène et celui d’oxygène restant le même : de 1 à 8. Mais il est très important qu’une formule chimique reflète fidèlement la constitution moléculaire du corps étudié, et celle-ci peut être extrêmement complexe, surtout en chimie organique (qui étudie les substances organiques, c’est-à-dire les corps purs extraits des produits par les organismes animaux et végétaux, qu’on a cru produits par une mystérieuse « force vitale » et non synthétisable, jusqu’en 1828 où le chimiste allemand Wöhler réalisa la synthèse de l’urée).
| Karlsruhe vers 1900 |
Le congrès de Karlsruhe fut convoqué sur l’initiative de trois chimistes partisans de la théorie atomique : le français Wurtz et les allemands Kekulé et Weltzien. Les principaux chimistes du monde entier reçurent une lettre circulaire, portant quarante-cinq signatures, et où il était dit, notamment : « Un tel congrès ne saurait, selon les soussignés, aboutir à des conclusions définitives et obligatoires pour tous. Mais il pourrait, par la voie de discussions, éliminer un grand nombre de malentendus. En particulier, il pourrait faciliter un accord au sujet des points essentiels suivants :
(Image : LOC)
Des définitions plus précises des notions d’atome, de molécule, d’équivalent, d’atomicité, de polyacidité, etc., l’examen de l’équivalence réelle des corps et de leurs formules, de l’adoption d’un plan de nomenclature rationnelle. »Ce travail d’unification s’imposait, de toute évidence. N’était-on pas allé jusqu’à proposer que chaque article de chimie publié dans une revue fût accompagné d’une clef particulière, comme en musique ?
Près de 150 savants répondirent à l’appel. Une commission de 30 délégués (dont Mendeleïev), mit au point les questions à soumettre au congrès.
En Russie, les idées nouvelles furent adoptées beaucoup plus vite. Mendeleïev les développa dès l’année suivante dans son manuel de chimie organique. Il devait dire plus tard : « Je considère comme une étape décisive, dans le développement de mes idées sur la loi périodique, l’année 1860, celle du congrès des chimistes à Karlsruhe, auquel j’ai participé, et les idées exprimées à ce congrès par le chimiste italien S. Cannizzaro. C’est lui que je tiens pour mon vrai précurseur, car les poids atomiques établis par lui m’ont donné le point d’appui indispensable. J’ai remarqué aussitôt que les changements de poids atomiques qu’il proposait apportaient une nouvelle harmonie dans les groupements de Dumas, et c’est dès ce moment que j’ai eu l’intuition d’une périodicité possible des propriétés des éléments dans l’ordre croissant des poids atomiques. Je fus arrêté, cependant, par des inexactitudes dans les poids atomiques adoptés à l’époque ; une seule conviction demeura clairement établie : c’était dans cette direction qu’il fallait travailler. »
Mendeleïev repart en Russie en février 1861.
2.2/: Premières tentatives de classements.
L’idée d’une classification des éléments n’était pas nouvelle en soi. Aristote distinguait déjà la terre, l’eau, l’air et le feu. Les alchimistes ajoutèrent un cinquième élément : la « quintessence ». On en imagina ensuite trois autres : le mercure, le soufre et le sel « philosophiques » ; par exemple, si un corps présentait l’aspect métallique, on disait qu’il renfermait du « mercure », ce mot représentant un symbole et non une substance.
Au début du XVII° siècle, le langage de la chimie était encore très mal défini. Le même mot « alcali » désignait à la fois la soude (NaOH) et la potasse (KOH). Un même corps, le sulfate de potassium, s’appelait indifféremment : « vitriol de potasse », « sel de duobus », « arcanum duplicatum »…On prenait parfois pour des corps distincts une même substance obtenue par des voies différentes. Quant à la constitution des corps composés, il est certain que des appellations comme « cristaux de Vénus » ou « fleurs de Jupiter » laissaient difficilement deviner qu’il s’agissait de notre nitrate de cuivre et de notre oxyde d’étain.
| Lavoisier et son épouse, par David |
A la fin du XVIII° siècle, Lavoisier (guillotiné en 1794…), dresse une liste des trente-quatre éléments connus à l’époque, en considérant comme tels « toutes les substances que nous n’avons encore pu décomposer par aucun moyen » : l’oxygène, l’hydrogène, l’azote, le carbone, etc. L’eau est reconnue pour contenir de l’oxygène et de l’hydrogène. Ce n’est pas un corps simple, pas plus que l’air, qui contient de l’oxygène et de l’azote. Notons que Lavoisier classe encore la lumière et le calorique parmi les substances non décomposées. […]
Grâce à différentes méthodes physiques et chimiques, on continue à découvrir les éléments constituants de telles ou telles combinaisons et on les classe en familles d’après leurs propriétés. On distingue tout d’abord deux grandes catégories : les métaux et les métalloïdes. Un métal est un corps solide à la température ordinaire (sauf le mercure), bon conducteur de la chaleur et de l’électricité ; quand il est poli, il a un aspect brillant (l’éclat métallique) ; il est plastique, c’est-à-dire susceptible de se déformer sans se rompre. Il se combine généralement à de l’oxygène pour donner un oxyde ayant des propriétés basiques. Par contre, un métalloïde est soit un gaz (oxygène, azote, etc.), soit un solide isolant (soufre, carbone, phosphore, etc.). Lorsqu’il se combine à l’oxygène, le produit n’a jamais de propriétés basiques ; le plus souvent, il donne un acide avec de l’eau. Ces propriétés sont plus ou moins accusées.
Autres rapprochements : certains éléments chimiquement semblables sont tels que le poids atomique de l’un est la moyenne arithmétique des poids atomiques des deux autres. Ils forment ce que le chimiste allemand Döbereiner appellera des Triades. Exemple : le lithium (poids atomique : 7), le sodium (23), le potassium (39) ; en effet, 7 + 39 = 46 = 2 x 23. Dumas classe les métalloïdes par familles naturelles : famille des éléments chlore, brome et iode ; famille des éléments oxygène, soufre et sélénium, etc. En 1867, l’anglais Lenssen dispose tous les éléments connus à l’époque en vingt triades, où il ne parvient d’ailleurs pas à faire entrer l’hydrogène ni le mercure.
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| Vis tellurique |
L’allemand Lothar Meyer réunit dans un tableau vingt-huit éléments, groupés en cinq colonnes verticales selon leur valence (nombre de liaisons que peut engager un atome). Il établit que, dans chaque colonne, les poids atomiques s’accroissent selon une loi particulière : 16 unités, puis 45, puis 90. Mais il s’en tient à cette constatation, et ne remarque pas le lien interne existant entre tous les éléments, et pas seulement ceux de son tableau.
Il y eut ainsi, de la fin du XVIII° siècle au milieu du XIX° siècle, une cinquantaine de tentatives de systématisation des éléments. Certains auteurs prenaient pour base le poids atomiques, d’autres les équivalents, d’autres encore la valence. Les uns passaient de « l’individuel » (les éléments) au « particulier » (les groupes naturels ou familles) ; les autres, comme Chancourtois, cherchaient à sauter directement de « l’individuel » au « général » (le système d’ensemble). Seul Mendeleïev devait parcourir successivement les trois étapes, en tenant compte à la fois des poids atomiques et des fonctions chimiques.
2.3/: La loi périodique.
On sait à peu près aujourd’hui, grâce à la publication des archives scientifiques de Mendeleïev, par les soins notamment de sa fille Maria Mendeleïeva-Kouzmina (1886-1952), et grâce aussi aux travaux du professeur B. M. Kédrov, comment s’est faite la découverte de la loi périodique.
Réfléchissons d’abord à ce qu’impliquent les mots : « découverte » et « loi ». Tous les chercheurs précédents avaient essayé d’inventer des systèmes plus ou moins subtils de classification générale des éléments connus, ou même, plus simplement, de déterminer les propriétés et les rapports de ceux des éléments qui pouvaient être associés au sein de tel ou tel groupe. Mais ces constructions de l’esprit risquaient de s’effondrer dès qu’un élément nouvellement découvert venait rompre l’ordre si péniblement établi. Or, ces nouveaux éléments se multipliaient : le césium (1860), le rubidium et le thallium (1861), l’indium (1863), l’hélium (1868).
D’autre part, l’imperfection des mesures et surtout la confusion théorique (qui subsistait encore malgré le congrès de Karlsruhe) entre les notions d’atome, de molécule et d’équivalent, entraînaient des imprécisions dans la détermination des poids atomiques et mettaient en cause toute classification reposant sur ce critère uniquement. De même, la notion de valence, introduite en 1852 seulement par Frankland, n’était pas suffisamment approfondie, ce qui conduisait à attribuer des formules inexactes à des corps composés, d’où une autre source d’erreurs pour les poids atomiques, établis très souvent par référence et comparaison.
La défiance à l’égard des théories générales et des systèmes était si grande que les chercheurs préféraient accumuler des faits et, par exemple, étudier la synthèse de nouveaux corps organiques. Il fallait une grande audace intellectuelle pour supposer et proclamer l’existence d’une « loi naturelle » associant les éléments connus et ceux encore inconnus. Et il fallait également une très riche expérience pratique pour « découvrir » cette loi en distinguant l’accessoire de l’essentiel, en dégageant la vérité dissimulée sous des erreurs de tous genres, à l’exemple du sculpteur qui « sort » la statue du bloc de marbre où elle était enclose, mais où il avait su la voir.
On a souvent écrit que Mendeleïev avait disposé tous les éléments connus à son époque dans l’ordre des poids atomiques croissants et que , voyant se succéder à des intervalles plus ou moins réguliers des corps appartenant à des « familles » déterminées, il avait juxtaposé des tronçons ou périodes de longueur inégale pour mettre en évidence ces groupes naturels. C’est oublier l’un des plus grands mérites de Mendeleïev, qui est précisément d’avoir osé modifier au préalable un grand nombre de poids atomiques pour constituer son tableau. Et, pour ce faire, il a commencé par étudier les groupes naturels en confrontant les plus dissemblables voire les plus opposés.
C’est ainsi qu’il prend d’une part, le groupe des métaux dits alcalins : le potassium (K), le lithium (Li), le sodium (Na), le rubidium (Rb) et le césium (Cs), et, d’autre part, le groupe des métalloïdes dits halogènes : le brome (Br), l’iode (I), le fluor (F) et le chlore (Cl).
Le nom de chaque élément est inscrit sur un carton avec son poids atomique et les formules des principales combinaisons dont il fait partie. Et Mendeleïev cherche inlassablement le secret de sa « réussite » en groupant et regroupant ses cartons. En plaçant les métaux alcalins dans l’ordre de leur poids atomiques, il obtient la série : Li (7), Na (23), K (39), Rb (85,4), Cs (133). Or, il constate que l’activité chimique (réactivité, plus un élément est stable, moins il est réactif. Ainsi, les gaz nobles sont dits inertes, car comme ils sont très stables, ils ne prennent part à aucune réaction chimique) va croissant de l’élément le plus léger à l’élément le plus lourd.
Même essai avec les halogènes : F (19), Cl (35,5), Br (80), I (127). Et même constatation, avec cette différence que l’activité chimique, au lieu de croître, va décroissant du fluor à l’iode. Les deux groupes d’éléments manifestent là un nouvel aspect de leur opposition. Mais, dans un cas comme dans l’autre, il y a indiscutablement une relation de dépendance entre les propriétés chimiques et les poids atomiques des éléments.
Les poids atomiques des éléments les plus nettement opposés au point de vue chimique que sont le sodium et le fluor, le potassium et le chlore, le rubidium et le brome, le césium et l'iode, ne diffère que de quelques unités. D'autre part, aucun élément connu ne peut être intercalé, quant à son poids atomique, entre ses "frères ennemis". Il en résulte que tous les éléments doivent se répartir de part et d'autre de ces deux rangées (ce qu'exprimera la première version du tableau), à moins qu'ils ne soient encadrés par elles (c'est cette version, publiée dès 1871 dans la première édition des Principes de chimie, qui est encore à la base du tableau actuel).
En reprenant alors les premiers de ses cartons et en les alignant dans l'ordre des poids atomiques croissants, Mendeleïev obtient le résultat suivant :
En reprenant alors les premiers de ses cartons et en les alignant dans l'ordre des poids atomiques croissants, Mendeleïev obtient le résultat suivant :
La succession régulière n’est rompue que deux fois : le bore trivalent succède au lithium monovalent, et le béryllium, métal trivalent, vient se placer après l'azote, métalloïde pentavalent. Si le béryllium était bivalent, son poids atomique serait de 9,4 ; ce qui rétablirait la continuité dans la progression de 1 à 7 de la valence. D'ailleurs, le béryllium est très proche, par ses propriétés, du magnésium, du calcium et du baryum, qui sont des métaux bivalents. Et Mendeleïev rectifie hardiment le poids atomique admis jusque-là pour le béryllium. Il continue ainsi de proche en proche, corrigeant d'autres données et laissant des places vides pour des éléments encore inconnus, mais dont il prédit la découverte.
Pour accomplir ce travail de synthèse, il est obligé de faire plus ou moins violence à 28 éléments sur 63. Parler ici d'intuition pure ou d'inspiration surgie au cours du sommeil serait faire bon marché des recherches antérieures de Mendeleïev, du lent cheminement qui lui a fait explorer, pendant quinze ans, toutes les voies conduisant à sa découverte.
Le 17 février (1er mars d'après le calendrier actuel) 1869, Mendeleïev met au net la première version de son tableau et l'expédie à l'imprimerie. Quelques jours plus tard, le texte est composé (quelques exemplaires portent le titre en français : Essai d'un système des éléments d'après leur poids atomiques et fonctions chimiques) et adressé à un certain nombre de savants russes et étrangers. Le 6 mars suivant, devant la Société chimique russe, N. Menchoutkine présente le rapport de Mendeleïev : Relation entre les propriétés et le poids atomique des éléments, qui sera publié dans le Journal de la société chimique russe (1869, 1ère année, vol. 2 et 3, p. 60-77). En voici les conclusions :
I. Les éléments disposés d'après la grandeur de leur poids atomiques présentent une périodicité manifeste de leurs propriétés.
II. Les éléments qui se ressemblent par leurs fonctions chimiques présentent des poids atomiques soit voisins (comme Pt, Ir, Os), soit régulièrement et uniformément croissant (comme K, Rb, Cs). L'uniformité de cet accroissement dans les différents groupes a échappé aux observateurs précédents parce qu'ils n'ont pas utilisé dans leurs comparaisons les conclusions de Gerhardt, Regnault, Cannizzaro, etc., qui ont établi la vraie grandeur du poids atomique des éléments.
III. La disposition des éléments ou de leurs groupes d'après la grandeur du poids atomique correspond à leur atomicité [valence] et, jusqu'à un certain point, à leur différences au point de vue chimique, ce qui apparaît clairement dans la série : Li, Be, B, C, N, O, F, et que l'on retrouve dans les autres séries.
IV. Les corps simples les plus répandus dans la nature ont un poids atomique faible, et tous les éléments de poids atomique faible sont caractérisés par des propriétés bien tranchées. Pour cette raison, ce sont des éléments typiques. L'hydrogène, en tant qu'élément le plus léger, est choisi à juste titre comme le plus typique,
V. La grandeur du poids atomique détermine le caractère de l'élément, car la grandeur de la particule [molécule] détermine les propriétés d'un corps composé et, de ce fait, lorsqu'on étudie les combinaisons, il faut prêter attention non seulement aux propriétés et au nombre des éléments, non seulement à leur action réciproque, mais aussi au poids de leurs atomes. C'est ainsi, par exemple, que les combinaisons de S et Te, Cl et I, etc., présentent malgré leur similitude des différences très accusées.
VI. Il faut s'attendre à la découverte de nombreux corps simples inconnus ressemblant, par exemple, à Al et Si, et ayant un poids atomique compris entre 65 et 75.
VII. La grandeur du poids atomique d'un élément peut quelque fois être corrigée, si l'on connaît ses analogies. Ainsi, celui de Te doit être, non pas de 128, mais 123-126 ?
VIII. Certaines analogies des éléments apparaissent en considérant le poids de leur atome. Ainsi, l'uranium apparaît comme l'analogue du bore et de l'aluminium, ce qui est justifié par la comparaison de leurs composés. [Un peu plus tard, dans son article Sur la place du cérium dans le système des éléments, 24 novembre 1870, Mendeleïev rectifie le poids atomique de l'uranium : 2240 au lieu de 116, et le classe dans le VI° groupe, avec le chrome, le molybdène et le tungstène.]
Mendeleïev ajoute que "certaines conclusions relatives aux propriétés tant chimiques que physiques des éléments qui manquent encore dans le système et qui n'ont pas encore été découverts, mais dont la découverte et très probable". Le nom qu'il leur donne dérive de celui de l'élément auquel ils font suite, précédé de la syllabe eka, du mot sanscrit qui signifie un. Et il décrit tout au long de huit pages les propriétés "hypothétiques de l'ekabore, de l'ekasilicium et de l'ekaaluminium. Ces trois éléments seront découverts, respectivement, en 1875, en 1879, et en 1886, et leurs caractéristiques répondront, à quelques détails près, aux prévisions de Mendeleïev.
L'accueil du monde scientifique est et restera longtemps encore très réservé. Le savant anglais Rutherford a donné à cet égard une explication très plausible : "Au début, les idées de Mendeleïev retinrent peu l'attention, car les chimistes de son temps s'attachaient davantage à rassembler et établir des faits qu'à réfléchir aux rapports existant entre eux.
III/: La confirmation définitive de Moseley.
| Henry Moseley |
| Radiographie de la main de l'épouse de Röntgen |
| Pierre et Marie Curie |
La réponse tant attendue viendra du modèle de l'atome de Niels Bohr et des travaux de Moseley en 1913. Il faut absolument avoir à l’esprit qu’à l’époque peu de scientifiques croyaient à l’existence du noyau atomique. Rutherford avait émis l’hypothèse d’un noyau compact, fortement positif seulement deux ans auparavant. Moseley associa la place d’un élément dans la table à une caractéristique physique en rendant le numéro atomique égal à la charge nucléaire positive. Il prouva ainsi que la disposition des éléments découlait d’une appréhension correcte de la structure de l’atome. Les anomalies comme celles du nickel et du cobalt trouvaient une explication tangible.
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