samedi 21 décembre 2013

Pour aller plus loin : le vide.

 Actuellement, dans la physique moderne, on considère que le vide n’est pas le rien, c’est-à-dire l’absence de tout mais un espace dans lequel les molécules sont fortement raréfiées. Ainsi pour faire le « vide », on prend une enceinte étanche et une pompe à vide et on « enlève » l’air présent dans la cuve. Un vide d'air considéré comme très poussé, on le nomme « ultravide », correspond à une pression de l'ordre de 10-9  Pascal (symbole : Pa). Pour donner un ordre d'idée, la pression atmosphérique au niveau de la mer (0 m d'altitude) est de 1013 hPa.
         De plus, la mécanique quantique confère au vide une énergie que les chercheurs tentent d’évaluer car elle pourrait jouer un rôle crucial dans l’évolution de l’Univers. Le vide est au cœur des débats scientifiques, une fois de plus, car son histoire débute au V° siècle avant notre ère.

1/: Le vide, une question philosophique pour les grecs


          Pour comprendre les  débuts de la notion de vide, il nous faut remonter à l'Antiquité grecque. Au VII° et VI° avant l’ère chrétienne, une cité de l’Asie mineure, Milet, donnait naissance aux premiers philosophes grecs suivants : Thalès, Anaximandre et Anaximène qui ont marqué l’histoire de la pensée, car ils ont réfléchi sur la conception du monde issu d’une source unique autre que divine. Pour Thalès tout était eau ; Anaximandre a essayé d’expliquer le monde à partir d’un principe unique qu’il appelait "apeiron" (il s’agissait pour lui d’une substance indéfinie et éternelle) ; Anaximène a choisi pour principe un élément naturel : l’air.


          Héraclite d’Ephèse, philosophe un peu postérieur à Anaximène, voyait le monde comme Un (il constitue une seule entité), sphérique et en mouvement. S’il s’était posé la question de ce qu’il y avait au-delà des limites du Un, cela l’aurait peut-être conduit à évoquer la notion de vide.

          La notion est plus abordée avec les pythagoriciens puisqu’elle interviendra dans leur cosmologie. Pour les pythagoriciens le monde est une continuité et le vide existe, notamment à l’extérieur du monde sphérique. Mais le vide se trouve également dans les nombres et résulte de la « respiration » de l’Un. Le vide fait partie intégrante de l’interprétation des nombres. On peut s’en faire une image en considérant une séquence continue de nombres qui serait brisée par le vide pour engendrer les entiers naturels, ceux-ci formant une séquence discontinue. L’école pythagoricienne admet l’existence du vide qui sépare les nombres et permet le passage de l’Un au multiple.


          C’est avec les premiers atomistes grecs Leucippe et Démocrite au cinquième siècle avant notre ère que le vide devient un principe. Pour les atomistes, le vide avait autant d’existence que les atomes, corps minuscules et indivisibles censés, selon eux, constituer le monde matériel : « l’être n’a pas plus d’existence que le non-être, parce que le vide n’existe pas moins que le corps. ». Le vide existe à l’extérieur des atomes, il est même illimité mais n’existe pas à l’intérieur des atomes. Les atomes qui possèdent plusieurs formes s’imbriquent les uns dans les autres pour former le monde matériel et se déplacent dans le vide. Pour Démocrite, ce sont les chocs qu’ils subissent les uns contre les autres qui expliquent leur mouvement et le mouvement perpétuel des atomes en découle. Cicéron dira (au premier siècle avant notre ère) dans Des fins : « le mouvement des atomes n’a pas eu de commencement et est éternel »

Aristote en compagnie de Platon, L'école d'Athènes (détail), de Raphaël.  
           Aristote (384 av. J.-C. ; 322 av. J.-C. ), à l’inverse, est un grand détracteur du vide. Etant donné la renommée acquise par ce philosophe, sa physique, adaptée par l'Eglise au XIII° siècle par Thomas d'Aquin notamment, sera beaucoup enseignée et peu critiquée jusqu’à la fin du XVI° siècle. Aristote conçoit le monde comme sphérique donc délimité tout comme Platon avant lui. Il ne peut y avoir de mouvement si le vide existe. Au-delà de ce monde, il n’y a rien, ni Temps, ni lieu, ni matière, ni vide. Le monde est constitué des quatre éléments d’Empédocle (le feu, l’eau, l’air et la terre) et ils subissent l’action de l’humide, du sec, du chaud et du froid. Seul le monde sensible existe et il exclut donc les particules invisibles, les atomes de Démocrite par exemple. Pour Aristote, il existe deux types de mouvements : le mouvement forcé ou naturel. L’exemple d’une pierre lancée va nous permettre de bien comprendre sa pensée. La pierre subit, dans un premier temps, la poussée due à la main de l’homme. Dans un second temps, le projectile est poussé par l’air qui a reçu une impulsion initiale. Dans le vide, ce genre de mouvement devient impossible. La cohérence du monde sensible d’Aristote est le point fort de sa théorie. S’il admet l’existence du vide, cela remet en cause sa conception du mouvement, mais également sa conception du monde qui deviendrait alors illimité et non pas sphérique.



          Nous allons enfin évoquer les thèses de l’école stoïcienne dont le fondateur fut Zénon de Cittium qui était le disciple de Parménide au III° siècle avant notre ère. Ils définissent deux principes : la matière et le pneuma. La matière est passive et subit donc l’action du pneuma, le souffle divin qui se propage pour que la providence divine inonde le monde. C’est la respiration de « l’Etre » et devient impossible s’il existe des intervalles vides parce qu’ils empêcheraient la propagation de l’onde divine : la matière est donc continue. Cependant les stoïciens admettaient l’existence du vide au-delà des limites du monde. C’est l’Etre qui donne les limites au vide et le monde des stoïciens vit en osmose avec ce vide infini.

Et comme toujours, un bon dessin vaut mieux qu'un long discours :





2/: quelques siècles plus tard

          Aristote, surnommé « le philosophe » au XII° siècle, influence la pensée médiévale. C’est grâce à Gérard de Crémone que sa physique s’est révélé dans le monde chrétien. Cependant, en 1270, l’Eglise réagit contre la suprématie de l’enseignement d’Aristote qui contredisait certains dogmes chrétiens. C'est alors que Thomas d'Aquin entreprend le "christianisation" de la physique aristotélicienne. Cette réaction va inciter les maitres médiévaux à envisager la possibilité d’une création – tout du moins divine – d’un espace vide. Des avis contraires à ceux d’Aristote se sont alors exprimés (Duns Scot ou Jean Buridan par exemple, bien que ces deux physiciens nient l'existence du vide).
          Quelques rares savants, comme Nicolas Oresme soutiennent l’existence du vide en dehors du monde délimité par une sphère, mais n’arrivent pas à accepter l’existence de ce vide à l’intérieur.

          Au XVIième siècle, dans l’Italie de la Renaissance, on assiste au retour du platonisme et de l’atomisme sur le devant de la scène, deux doctrines qui s’opposent à l’aristotélisme, bien que ce dernier demeure encore prépondérant. De ce fait, les anciens débats sur le vide ressurgissent.

Giordano Bruno
          Francesco Patrizi, croyait à l’infinité de l’Univers et à l’existence du vide et propose ces deux idées dans son livre De spacio physico et mathematico publié en 1587. En effet, ce dernier pense que les espaces vides existent s’ils sont minuscules. De même que des petites quantités d’air sont répandues dans le sable, on peut supposer que de petites quantités d’espace vide sont répandues entre les particules d’air. Il a, par ailleurs, cherché à démontrer que l’Univers infini, au-delà du monde, est un espace totalement vide, en avançant l’idée que le vide était antérieur à l’existence du monde. 
          Giordani Bruno a considérablement influencé la remise en question des idées reçues sur l’infini grâce à son œuvre De l’infinito, universo e mondi, publiée en 1584. Il considère, en effet, que l’univers est infini, car si le monde était fini, qu’existe-t-il à l’extérieur de ses frontières ? Selon Aristote : absolument rien ! 
Le « rien » d’Aristote est devenu le vide pour Bruno.


          On peut citer Galilée qui a travaillé sur ce sujet. En effet, ce grand physicien censuré par l’Eglise transmet ses connaissances dans Discours (qu’il publie quelques temps avant de mourir en 1638) à l’aide d’une conversation entre trois personnages sur le thème de la science. Salviati est son porte parole, Simplicio tient le rôle de l’Arstotélicien quelque peu rétrograde et Sagredo interprète un personnage à l’esprit ouvert qui accorde aux démonstrations et aux expériences une place importante. Galilée envisageait la présence de petit espace de vide dans la matière. Lors de ses recherches sur la chute des corps, il pense aussi au vide comme un cas limite en déclarant que deux corps de masse distincte et ayant des formes différentes arriveraient en même temps au sol si on supprime la « résistance » de l’air.


Baromètre de Torricelli
          Son disciple, Evangelista Torricelli, n’accordait aucun crédit à cette « résistance » de la nature à la création de vide. Selon lui, la difficulté à produire du vide découlait directement des effets du poids de l’air ambiant, lequel était, par conséquent, la cause première. En 1644, une lettre de Torricelli à Ricci atteste du succès d’une expérience portant sur le vide : Torricelli comprit que la pression atmosphérique était en jeu. Il prit pour son expérience un bac et un tube d'un mètre de long bouché à une extrémité. Il remplit le tube de mercure et le déposa ensuite dans le bac, le bout ouvert dans le mercure. Il observa que le tube se vidait partiellement et que le niveau de mercure se stabilisait à environ 760 mm au-dessus de la surface du bac (le poids du mercure tend à faire se vider le tube, mais la force de pression exercée par l'air sur le mercure contenu dans le bac s'y oppose. L'équilibre entre ces deux force est atteint lorsqu'il reste 760 mm de mercure dans le tube). Il soumit l'hypothèse suivante à un collègue : "L'air (la pression atmosphérique) pèse sur le mercure de la cuve, ce qui empêche le mercure de descendre complètement et le tube de se vider. Après réflexion sur cette expérience, il comprit qu'il venait de faire le vide dans le haut du tube.
          A part cette expérience, tout portait à croire que le vide ne pouvait pas se produire et beaucoup de physiciens étaient d’accord pour soutenir qu’une certaine matière emplissait l’espace en haut du tube. Torricelli parlait, lui, avec prudence, de vide ou de « matière extrêmement raréfiée ».

          Blaise pascal, le célèbre auteur des Pensées, se penche également sur la question du vide. En 1646, il refait l’expérience barométrique proposée par Torricelli et observe la même chose que ce dernier. Il propose prudemment que « cet espace qui paraissait vide était de l’air, lequel, pour éviter le vide, aurait pénétré le verre et serait entré par ses pores ». Cependant, il ne s’arrête pas là et essaye de montrer par l’expérience que le vide est possible. Il utilise une seringue de verre et une cuve pleine d’eau. Il vide l’air de la seringue grâce au piston et bouche l’orifice à l’aide de son doigt. Il plonge le tout dans l’eau et tire le piston vers le haut. Il ressent alors une aspiration. Il y a un vide apparent dans la seringue car il n’y a ni eau ni air. De plus, cette sensation d’aspiration sur le doigt renforce la sensation visuelle de cet espace vide. Quand Pascal enlevait le doigt, alors l’eau montait rapidement dans la seringue, preuve, peut-être que l’espace de la seringue était dépourvu de toute matière.
          Cependant, le débat faisait encore rage et le plus véhément détracteur de Pascal était le père Etienne Noël, jésuite et ancien maître de Descartes. Pour apporter de nouveaux arguments, Pascal propose une autre expérience en 1648 : la pression atmosphérique devrait être différente en ville (à Clermont-Ferrand) et en haut de la montagne la plus proche, le Puy de Dôme, où la pression doit être inférieure à la pression régnant au niveau de la ville. Pascal fait donc transporter par son beau-frère, Florin Périer, un tube de Torricelli en haut du Puy-de-Dôme. Des curés et des savants suivent l'expérience. Grâce au tube-témoin en ville, la présence de vide est démontrée. Ce vide apparent est-il absolu ? La science de l’époque était incapable d’y répondre.


hémisphères de Magdebourg
          Le chanoine français Gassendi y travaille, mais ne montre pas de résultats concluants sur cette question. Pour lui il y a deux catégories d’espace vide : le vide momentané qui n’existe que pendant un très court instant (par exemple quand la flamme sort d’un canon […] il demeure au-dedans du canon un espace vide ») et le vide « permanent » qui, lui, est stable dans le temps. Il fabrique donc des cloches à vide et met des petits animaux dedans. Ses derniers meurent, mais cette expérience était insuffisante, (car une asphyxie même partielle suffisait à faire mourir les animaux) pour démontrer un vide absolu. Cependant, il se rend compte de la non-propagation des ondes sonores dans le vide, car il avait compris que le son nécessitait un fluide pour se propager.


          Le vide expérimental connait son essor aux alentours de 1650, quand Otto Von Guericke invente la première pompe pneumatique qui permet de vider un récipient de l’air qu’il contient (principe utilisé par Gassendi). Ce physicien allemand réalisa de nombreuses expériences sur le vide, dont celle, spectaculaire, des hémisphères de Magdebourg en 1654 :
          Il assemble deux demi-sphères de laiton creuses et fait le vide à l’intérieur grâce à une pompe pneumatique. Il attelle des chevaux pour essayer de séparer les deux hémisphères et il faudra deux attelages de huit chevaux pour y arriver. Cela démontrait avec éclat que l’air peut exercer une force considérable si on lui oppose le vide.


          Très rapidement, on se mit à chercher des applications du vide et des effets de la pression atmosphérique. Le développement de la machine à vapeur en fut l'une des premières.

3/: Et aujourd'hui ?

          Les techniques afin de créer du vide se sont améliorées, toutefois, on n'arrive toujours pas à obtenir le vide absolu sur Terre. Voici les différents niveau de vide à considérer :
                     - Le vide primaire, pour une pression comprise entre 1000 hPa et 0,1 Pa.
                     - Le vide secondaire, pour une pression comprise entre 0,1 Pa et 1 µPa.
                     - L'ultra haut vide, pour une pression comprise entre 1 µPa et 1 nPa.
Pompe turbomoléculaire
        

       On utilise des pompes plus où moins efficace en fonction du vide souhaité. Pour avoir un vide primaire, on peut se servir d'une trompe à eau ou d'une pompe à palette. Pour un vide secondaire, une pompe turbomoléculaire (la turbine tourne entre 20 000 et 60 000 tours/minute). Enfin, pour un vide poussé, il faut utiliser une cryopompe. Avec le froid, les molécules d'air voient leur énergie cinétique diminuer, les rendant plus simples à pomper. Elle fonctionne avec de l'hélium liquide.

          Et au-delà du nanopascal ? Pour l'instant sur Terre rien, ce n'est pas possible. Même en améliorant l'étanchéité des pompes, les enceintes sont soumises au phénomène de "dégazage". Aussi lisses que soient les parois de l'enceinte de la pompe, ces dernières présentes toujours des aspérités, des irrégularités dans lesquelles se logent des molécules de gaz. Lorsqu'on soumet cette paroi dans le vide (c'est-à-dire à une très faible pression), les molécules prisonnières "se libèrent" et passent dans le volume de l'enceinte : on dit que les parois dégazent.

          Pourquoi faire du vide ? Les applications sont multiples, en voici quelques unes :
- La conservation des aliments. Le vide est une étape importante de la lyophilisation (anciennement appelée cryodessication). On peut également placer les aliments sous vide. Ainsi, on diminue la quantité d'eau et de dioxygène, ce qui ralentit la dégradation des aliments.
- Diminuer la conduction thermique et la conduction phonique pour l'isolation des bâtiments.
- Les lampes à incandescence (lampe à vapeur de sodium et de mercure que nous avons utilisé dans le TP-cours sur les spectres).


- Les accélérateurs de particules, pour éviter les chocs. Ce domaine a forcé le développement des techniques de pompage et de création du vide.